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Afrique Magazine numéro 458:extrait d'une longue interview
Mise à l'honneur dans Afrique Magazine numéro 458 de ce mois de novembre. Six pages me sont consacrées à l'occasion de la parution de mon nouveau roman, Le Harem du roi. Et une longue interview dont voici quelques extraits
« Le roman soulève ce débat entre tradition et modernité…
C’est un questionnement perpétuel. Je suis attachée à nos traditions, mais à condition qu’elles ne causent pas de souffrance. Nous devons préserver les bonnes valeurs inculquées dès notre plus jeune âge, notre langue, notre style vestimentaire, notre mode de vie, à condition qu’ils s’ancrent dans le monde actuel, et que l’on puisse trouver notre place. De nombreuses traditions sont néfastes pour les femmes, mais pour les hommes aussi. Seini se retrouve piégé : est-il plus heureux que lors de sa vie de couple ? La réponse est claire dans le roman. Certains lamidos sont progressistes et refusent le harem ; malheureusement, les jeunes reviennent en arrière. Les traditions sont en train de devenir à la mode, et c’est très inquiétant, comme si une femme qui refuse la polygamie n’était pas une vraie femme africaine, une vraie musulmane. C’est à l’image de notre société : l’impression de faire un pas en avant, deux pas en arrière. »
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« Dans tous mes romans, je prône l’éducation comme clé de l’émancipation des femmes. Elles doivent aussi avoir la possibilité, la liberté de faire des choix, ne pas être ostracisées. Arrêtons de juger les femmes, laissons-leur le droit de choisir qui elles veulent être. Celle qui divorce sera taxée de « femme de mauvaise vie » ; on brandira un verset coranique pour lui asséner qu’elle est une mauvaise musulmane. Cet argument fait peur aux femmes ; elles ne se rendent pas compte qu’elles ont le droit, sur le plan islamique, de dire non. La religion est instrumentalisée, prise en otage par les hommes, qui veulent la tourner à leur avantage. Je défends un islam qui nous a donné des droits, et j’entends qu’ils soient respectés. »
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Vous citez Germaine Tillion : « L’asservissement ne dégrade pas seulement l’être qui en est victime, mais celui qui en bénéficie. »
On le voit clairement dans le roman. J’ai été extrêmement scandalisée lors de mes recherches sur la survivance de la servitude en Afrique. Aujourd’hui encore, une personne instruite, avec un travail, qui a réussi sa vie, peut se rendre chez un individu qui en serait le « propriétaire », afin de demander une attestation d’affranchissement pour se sentir totalement libre ! C’est finalement banal, ça se passe tout le temps, mais on n’en parle pas. Dans certains villages, dans des mosquées, à l’aube, telle personne décide d’affranchir son esclave. Ça se passe en 2024… Je suis tombée sur un document officiel : une attestation d’affranchissement cachetée, signée par un lamido. Il faut en parler. La Convention des droits de l’homme stipule que l’esclavage n’existe plus ; or, une autre forme persiste, et ce dans ces pays qui ont ratifié ladite Convention.
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« Quelles actions menez-vous avec Femmes du Sahel ?
Nous travaillons sur le terrain pour l’éducation et le développement. Nous prenons en charge la scolarité des petites filles. Nous fournissons des kits scolaires (cartable, cahiers, etc.) aux enfants défavorisés. Nous menons des campagnes de sensibilisation sur l’importance de l’éducation des filles, et aussi pour se prémunir des violences, comme le mariage précoce et forcé, le harcèlement sexuel. Ça m’aurait rendu service quand j’ai été envoyée en mariage au collège. On leur donne les armes nécessaires pour qu’elles sachent dire non sans être chassées de leur foyer. Nous donnons des livres aux écoles primaires dans des endroits reculés. Avec le soutien de l’ambassade de France au Cameroun et de Studely, une entreprise de mobilité estudiantine vers l’Europe, j’ai créé deux bibliothèques, une à Douala, dans mon quartier de résidence, et une à Maroua, ma ville natale. Enfant, j’escaladais le mur de l’église catholique pour trouver des livres ! Les jeunes doivent lire : la lecture fait rêver, permet de se cultiver, d’avancer dans la vie. »
Historique
Créée en 2012 par Djaïli Amadou Amal, l’association camerounaise «Femmes du Sahel» a pour but d’oeuvrer pour l’éducation et le développement de la femme dans le Nord-Cameroun.
Elle mène en particulier des actions de promotion de l’éducation de la femme et de la jeune fille, de sensibilisation contre le mariage précoce et forcé et toute forme de violence faite aux femmes. Mise en place et construction des bibliothèques.